Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/53

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de la duchesse de Lude. Je m’appelle De Bourbon… Mon emploi d’exempt cesse à dater d’aujourd’hui, et désormais réclamez-vous de moi en cas de besoin… » Cet exempt me parut un honnête homme, et passant au bas du Pont-Neuf, je lui offris à boire, ainsi qu’aux trois hocquetons qui nous accompagnaient et qui portaient brodée sur leur cotte d’armes la représentation d’une masse hérissée de pointes avec cette devise : monstrorum terror. Je ne pus m’empêcher de dire, pendant que je buvais avec eux : « Vous êtes la terreur… et je suis le monstre ! » Ils se prirent à rire et nous arrivâmes tous à la Bastille, en belle humeur.

Le gouverneur me reçut dans une chambre tendue de damas jaune avec une crépine d’argent assez propre… Il me donna la main et m’invita à déjeûner… Sa main était froide, ce qui me donna un mauvais augure… Corbé, son neveu, arriva en papillonnant, et me parla de ses prouesses en Hollande… et des succès qu’il avait eus plus tard dans les courses de taureaux à Madrid, où les dames, admirant sa bravoure, lui jetaient des œufs remplis d’eau de senteur. Le déjeûner fini, le gouverneur me dit : « Usez de moi comme vous voudrez », et il ajouta parlant à son neveu : « Il faut conduire notre nouvel hôte au pavillon des princes. »

— Vous étiez en grande estime près du gouverneur… dit en soupirant l’abbé de Bucquoy.

— Le pavillon des princes, vous pouvez le voir d’ici… c’est au rez-de-chaussée. Les fenêtres sont garnies de contrevents verts. Seulement, il y a cinq portes à traverser pour arriver à la chambre. Je l’ai trouvée triste, quoiqu’il y eût une paillasse sur le lit, un matelas, et autour de l’alcôve une pente en brocatelle assez fraîche ; plus encore, trois fauteuils recouverts en bougran.