Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/249

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hésitation chez certains esprits plus disposés que d’autres à l’exaltation et à la rêverie.

Il y a, certes, quelque chose de plus effrayant dans l’histoire que la chute des empires, c’est la mort des religions. Volney, lui-même, éprouvait ce sentiment en visitant les ruines des édifices autrefois sacrés. Le croyant véritable peut échapper à cette impression ; mais, avec le scepticisme de notre époque, on frémit parfois de rencontrer tant de portes sombres ouvertes sur le néant.

La dernière qui semble encore conduire à quelque chose, cette porte ogivale, dont on restaure avec piété les nervures et les figurines frustes ou brisées, laisse entrevoir toujours sa nef gracieuse, éclairée par les rosaces magiques des vitraux. Les fidèles se pressent sur les dalles de marbre et le long des piliers blanchis où vient se peindre le reflet colorié des saints et des anges. L’encens fume, les voix résonnent, l’hymne latine s’élance aux voûtes au bruit ronflant des instruments ; seulement prenons garde au souffle malsain qui sort des tombes féodales où tant de rois sont entassés ! Un siècle mécréant les a dérangés de l’éternel repos, que le nôtre leur a pieusement rendu.

Qu’importent les tombes brisées et les ossements outragés de Saint-Denis ! La haine leur rendait hommage ; l’homme indifférent d’aujourd’hui les a replacées par amour de l’art et de la symétrie, comme il eût rangé les momies d’un musée égyptien.

Mais est-il un culte qui, triomphant des efforts de l’impiété, n’ait plutôt encore à redouter l’indifférence ?

Quel est le catholique qui ne supporterait la folle bacchanale de Newstead-Abbey, et les compagnons d’orgie de Noël Byron parodiant le plain-chant sur des vers de chansons à boire, — affublés de robes monastiques et buvant le claret dans des crânes, — plus volontiers que de voir l’antique abbaye devenir fabrique ou théâtre ? Le ricanement de Byron appartient encore au sentiment religieux, comme l’impiété matéria-