Page:Nerval - Lorely, 1852.djvu/57

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deau de théâtre, cette décoration merveilleuse qui semble être la scène arrangée d’une pastorale d’opéra. C’est ailleurs qu’il faut se placer pour jouir de ce grand spectacle. Prenez vos billets d’entrée au salon de conversation ; payez votre abonnement, retenez votre stalle, et alors, au milieu des galeries de Bénazet, aux accords d’un orchestre qui joue en plein air toute la journée, vous pourrez jouir de l’aspect complet de Baden, de sa vallée, de ses montagnes, si le bon Dieu prend soin d’allumer convenablement le lustre et d’illuminer les coulisses avec ses beaux rayons d’été.

Car, à vrai dire, et c’est là l’impression dont on est saisi tout d’abord, toute cette nature a l’air artificiel. Ces arbres sont découpés, ces maisons sont peintes, ces montagnes sont de vastes toiles tendues sur châssis, le long desquelles les villageois descendent par des praticables, et l’on cherche sur le ciel de fond si quelque tache d’huile ne va pas trahir enfin la main humaine et dissiper l’illusion. On ajouterait foi, là surtout, à cette rêverie de Henri Heine, qui, étant enfant, s’imaginait que tous les soirs il y avait des domestiques qui venaient rouler les prairies comme de tapis, décrochaient le soleil, serraient les arbres dans un magasin, et qui, le lendemain matin, avant qu’on ne fût levé dans la nature, remettaient toute chose en place, brossaient les prés, époussetaient les arbres et rallumaient la lampe universelle.