bizarres, confirment cette illusion, qui serait beaucoup plus complète encore si le soleil ne se couchait pas sur la rive opposée du fleuve. Mais un clair de lune très-pur nous rendit une partie de l’effet que nous espérions. Mon illustre compagnon de voyage put emporter de ce spectacle une impression assez complète pour que je doive me dispenser d’en rendre compte au public avant ou après lui.
La même raison m’interdirait la description intérieure de Mannheim, si je n’étais habitué à traverser les villes en flâneur plutôt qu’en touriste, content de respirer l’air d’un lieu étranger, de me mêler à cette foule que je ne verrai plus, de hanter ses bals, ses tavernes et ses théâtres, et de rencontrer par hasard quelque église, quelque fontaine, quelque statue qu’on ne m’a pas indiquée et qui souvent manque en effet sur le livret du voyageur. J’aurai donc fini ma description en deux mots. Cette ville est fort jolie, fort propre, et toute bâtie en damier. Les grands-ducs de Bade ont été de tout temps fanatiques de la ligne droite ou de la courbe régulière ; ainsi Carlsruhe est bâtie en éventail ; du centre de la ville, où est situé le palais, on peut regarder à la fois dans toutes les rues ; le souverain, en se mettant à sa fenêtre, est sûr que personne ne peut entrer ou sortir des maisons, circuler dans les rues ou sur les places, sans être vu de lui. Une ville ainsi construite peut épargner bien des frais de police et de surveillance de tout genre. Mannheim, cette seconde capitale du duché, ne le cède guère à Carlsruhe sous ce rapport. Il suffit d’une douzaine de factionnaires postés aux carrefours à angle droit pour tenir en respect toute la cité. C’est pourtant à Mannheim que fut commis l’assassinat de Kotzebue par Carl Sand ; mais aussi faut-il dire qu’à peine sorti de la maison de sa victime, Sand se trouva saisi par les pacifiques soldats du grand-duc.
Cette lugubre tragédie nous préoccupait avant tout dans le court séjour que nous fîmes à Mannheim ; aussi nous fûmes heureux d’apprendre que le célèbre acteur tragique Jerrmann se trouvait alors dans la ville. Nous l’allâmes demander au