Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion, un jugement. Vous touchez un corps dur, vous éprouvez la sensation du contact, vous avez à l’occasion de cette sensation la perception de la solidité et de l’étendue existant en dehors de vous : vous jugez qu’il y a un extérieur. Comment cela se fait-il ? Le savant professeur ne vous le dira pas ; il l’ignore, et il a le courage de dire hautement qu’il l’ignore. « Comment la sensation de la dureté, sensation qui est en vous, vous suggère-t-elle la connaissance de l’étendue et de la solidité qui sont hors de vous, qui existaient avant la sensation, et qui continueront à exister après qu’elle sera évanouie ? Nous l’ignorons. »

Nous l’ignorons, nouvelle et belle parole en philosophie, parole qui suffirait pour établir une ligne de démarcation infranchissable entre la doctrine de M. Royer-Collard et les doctrines du dix-huitième siècle. Il rend la philosophie modeste, il la rend respectueuse. Savoir quand on peut et ce qu’on peut, savoir ignorer ce qu’on ne sait pas, et croire à l’évidence sans se l’expliquer : telle est la maxime qui domine ses études. Il observe avec une scrupuleuse attention, il analyse avec cette pénétration d’esprit qu’il portait dans tous les sujets, et puis, quand il vient se heurter contre ceux de ces mystères que Dieu a posés comme des bornes dans la science philosophique et dans les sciences physiques, devant notre intelligence si faible et si courte, sans doute pour nous rappeler l’imperfection de notre nature, et nous apprendre à respecter ces autres mystères, qui sont les