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le matérialisme, pour ainsi dire, rappelait au milieu des joies des banquets la pensée de la mort, et chantait à Leucothoé les roses éphémères, afin de faire du néant des choses humaines une nouvelle volupté, et du terme de tous les plaisirs un plaisir de plus. Non, la mélancolie de M. de Lamartine n’a rien de pareil : c’est le désenchantement des choses qui passent, mêlé à l’espérance des choses qui demeurent ; c’est la terre vue du ciel, un soupir jeté sur la vie du haut de l’immortalité.

Parfois, il est vrai, il vient à céder, comme dans la méditation sur le Lac, à cet enivrement du cœur, qui veut faire descendre l’éternité dans le moment qui passe, et l’infini dans un sentiment, hélas ! borné comme le reste[1].

  1. C’est ainsi qu’il dit au Temps :

    Ô Temps, suspends ton vol ; et vous, heures propices,
    Suspendez votre cours ;
    Laissez-nous savourer les rapides délices
    Des plus beaux de nos jours !
    Assez de malheureux ici-bas vous implorent :
    Coulez, coulez pour eux ;
    Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
    Oubliez les heureux.
    Aimons donc ! aimons donc ! de l’heure fugitive,
    Hâtons-nous, jouissons !
    L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
    Il coule, et nous passons.

    Puis, venant seul s’asseoir sur la pierre où l’année précédente il s’était assis avec celle qu’il pleure, il ajoute :

    Ô lacs, rochers muets, grottes, forêt obscure !
    Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir ;
    Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
    Au moins le souvenir.
    Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
    Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,