Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

français. La mort vient, jouissons de la vie ! maxime qu’on rencontre à chaque page chez les poëtes du paganisme, avec ce mélange de tristesse et de joie qui ne suspend un moment les plaisirs que pour en augmenter l’ivresse. Que cette mélancolie soit souvent douce et pleine de charme chez M. de Béranger, il faut le reconnaître ; mais elle l’était au moins autant chez Horace, Ovide, Catulle, et surtout Tibulle, le poëte aux élégies trempées de larmes. Leurs vers ne sont pas moins attendrissants, et, très-supérieurs par la beauté constante de la forme, ils ne sont guère plus païens. En comparant ces vers à ceux de M. de Lamartine sur le même ordre d’idées, on aperçoit ce que le christianisme a ajouté d’élévation, de dignité et de vérité à ces sortes de poésies, et ce qui manque à tous les auteurs antiques, y compris Béranger, même sous le rapport de l’art. On a beau couvrir de feuilles de roses les idées de mort, quand aucun rayon d’immortalité ne brille dans leurs ténèbres, elles sont quelque chose de plus que mélancoliques, elles sont tristes. L’ivresse qu’elles inspirent a un caractère sombre et fatal. Ses banquets philosophiques ressemblent au banquet d’Homère où les murs suaient le sang et où de pâles fantômes traversaient la salle du festin. Ces convives qu’on excite à la joie en leur montrant l’écueil où toute joie doit trouver son terme, nous font l’effet des prétendants à la main de Pénélope, dont les rires se changeaient en longs hurlements, et qui se livraient à la gaieté, la poitrine pleine de gémissements et les yeux gros de larmes.