M. de Voltaire, qui était à Bruxelles, ne prévoyant pas que la maladie dont la duchesse languissait depuis près d’une année dût l’enlever juste au moment de la représentation de Ztdime, n’avait point donné d’avis à ce sujet à M. d’Argental, et celui-ci, tout à la gloire dramatique de son dieu littéraire, oublia que le philosophe avait intérêt à ménager le grand seigneur. L’auteur de Zaïre portait depuis longtemps un sincère attachement à mademoiselle de Guise, et avait beaucoup contribué à son mariage avec le duc de Richelieu. Un esprit aussi supérieur devait apprécier toutes les qualités qui la distinguaient. On peut juger de ses sentimens pour elle par ce qu’il en dit dans une de ses lettres à son ami d’Argental[1].
La sœur du duc de Richelieu, abbesse du Trésor, fut chargée de l’éducation de sa nièce ; c’était une femme spirituelle, dont la nature et le caractère se trouvaient en opposition constante avec sa profession, et qui n’en remplissait pas moins ses devoirs avec une rigide exactitude ; mais sa sévérité s’épuisait sur elle-même, et dès qu’il se présentait une occasion de placer innocemment son indulgence pour les faiblesses humaines, et son penchant pour les sentimens romanesques, elle les encourageait avec d’autant plus de force qu’elle n’en voyait point le danger. Tout ce qui avait pour principe ou même pour prétexte un but honnête lui semblait mériter sa protection ; différente du Tartufe de Molière, c’est avec le ciel seul qu’elle ne voyait aucun accommodement. Habituée dès sa plus tendre jeunesse à excuser près de son père les torts graves, les folies de son frère, elle avait fini par se persuader
- ↑ « Vous n’ignorez pas la perte que je fais en elle (madame de Richelieu). J’avais droit de compter sur les bontés et j’ose dire sur l’amitié de madame de Richelieu. Il faut que je joigne à la douleur dont cette mort-là m’accable celle d’apprendre que M. de Richelieu me sait le plus mauvais gré du monde d’avoir laissé jouer Zulime dans ces cruelles circonstances. Vous pouvez me rendre justice. Cette malheureuse pièce devait être donnée longtemps avant que madame de Richelieu fût à Paris. J’ai fait depuis humainement ce que j’ai pu pour la retirer, sans en venir à bout, etc., etc. » (Voltaire, vol. lxx}.)