Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/15

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malheur, ce couvent si triste en apparence servait d’asile à la tranquillité, aux doux intérêts de Pâme, et souvent même à la gaieté. Il y avait bien, comme partout, des sentimens d’envie, de petites jalousies et des caquets presque autant qu’à la cour ; mais le dédain de la supérieure pour ces travers inséparables de l’état de société, sa tolérance pour les torts que rachetait une foi sincère, son attrait pour les idées nouvelles, offraient le vrai modèle d’une philosophie appliquée à la re­ligion, et chacune de ses sujettes cherchait à l’imiter ; car les couvents de femmes, véritables ruches d’abeilles où le tra­vail et l’ordre ont créé une monarchie pour maintenir la paix, avaient, avec les avantages d’un gouvernement immuable, les inconvénients d’une petite cour, et, comme dans les plus grands États, la reine y donnait l’exemple ou la mode des défauts ou des qualités que devaient adopter ses sujets.

L’abbesse du Trésor, trop spirituelle pour se flatter de con­versions impossibles, tâchait seulement d’appliquer les défauts inhérents au caractère féminin à des vanités innocentes ; elle avait institué des prix pour les plus blus belles broderies, pour les dentelles les plus riches, les fleurs les mieux imitées, qui devaient servir à parer les autels. Dans aucune abbaye les divins cantiques n’étaient chantés par des voix plus pures et mieux exercées. On venait de Vernon, qui était à deux lieues de là, pour entendre la grande messe et les orgues de l’abbaye du Trésor. Plusieurs religieuses, et les élèves du cou­ vent, se disputaient chaque dimanche l’honneur de soutenir les chants sacrés pas les accords de l’orgue, et il naissait de cette noble émulation un concours de musique qui formait plus d’un talent remarquable. La direction des aumônes, celle de la maison, l’éducation des élèves, étaient un moyen de plus d’employer leur orgueil. Rien n’égalait la fierté de la sœur dont la protégée remportait le premier prix ; elle en humiliait bien un peu les autres ; mais ce péché était absous par la reconnaissance de l’élève et de ses parents. Ainsi du fond de sa retraite, l’abbesse du Trésor donnait une grande leçon aux puissants de la terre en faisant servir la vanité de chacun au bonheur de tous.