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mitié d’une personne qui avait quatre ans de plus qu’elle, et toutes les qualités qu’on estime le plus, sans compter les agrémens qu’on envie, même dans un cloître, parla de Laurette à son père de manière à lui donner le désir de la connaître ; à peine l’eut-il aperçue se promenant solitaire sous les vieux tilleuls du jardin, qu’il devina la véritable cause de son exaltation religieuse :

— C’est de l’amour terrestre appliqué au ciel, pensa-t-il, en contemplant les regards pleins de feu, la démarche langoureuse de la belle novice ; elle n’aurait pas cette tristesse qui lui donne tant de charme, si l’adoration de Dieu suffisait à son cœur.

En effet, condamnée à la réclusion, au sacrifice éternel des attachemens du monde, Laurette cherchait à remplacer un bonheur qu’elle regrettait sans le connaître, par l’espérance d’une félicité divine, infinie, telle que le ciel la promet.

Ce fut une abominable pensée que celle de détourner du ciel cette âme exaltée, que de chercher à lui prouver la fragilité de la vocation qu’elle croyait immuable ; et cette pensée coupable, un homme de plus de cinquante ans, le duc de Richelieu osa la concevoir ; là, près de sa fille dont il respectait et chérissait la pureté, dont il aurait tué de sa propre main le séducteur, s’il se fût trouvé un être assez téméraire pour vouloir la déshonorer ; M de Richelieu, sans égard pour le saint lieu qui le recevait, pour l’hospitatité qu’il trouvait chez sa sœur, la confiance que devaient inspirer son âge, son rang, son titre de père, cet homme, blasé sur les succès du monde, accoutumé à triompher de toutes les rivalités, ne put se défendre de l’orgueilleux plaisir de combattre contre la divinité elle-même.

Aussi ingénieux que discret dans les moyens de faire connaître et accueillir son amour, on n’a jamais su comment il était parvenu à porter le trouble et le désespoir dans le cœur de Laurette ; seulement, depuis qu’il l’avait rencontrée dans le jardin, depuis qu’il l’avait vue chez sa sœur, elle était distraite, rêveuse, et ne parlait plus qu’en rougissant de sa prochaine prise d’habit. Des réflexions sur la mort… des mots