Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/30

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amour jusqu’à la passion ; on ne ferait pas tant pour vous si vous n’étiez qu’un aimable traître !

À ces mots, le maréchal baisa la main de madame de Lauraguais, en signe de reconnaissance.

— Ainsi donc, dit-il, votre avis est que je me rende à Versailles à l’instant même ?

— C’est marquer trop d’empressement peut-être, dit la duchesse.

— Non, répondit madame d’Aiguillon, il faut terminer ces sortes de différends dès qu’on le peut. Probablement le roi ne sait rien de cette lettre, il croira que mon neveu vient de lui-même faire la paix avec sa favorite ; cela produira un très-bon effet. À la cour, moins que partout ailleurs, il ne faut pas laisser apercevoir qu’on se sait être utile. Le secret de mener les gens est tout entier dans le soin de leur persuader qu’ils nous mènent. Croyez-moi, cet acte de soumission envers la marquise sera récompensé…

— Par quelque commission fort désagréable, peut-être, interrompit le maréchal ; comme une nouvelle réprimande à Voltaire pour les deux derniers volumes qu’il vient de faire imprimer à la Haye, ou qu’on vient d’y imprimer sans son aveu, ce qui arrive souvent. On prétend que dans cet ouvrage, notre philosophe trahit son attachement secret pour la religion des Turcs ; qu’il les fait valoir tant qu’il peut, et presque toujours aux dépens des chrétiens. Le clergé sera venu se plaindre au roi, et c’est moi qui supporterai la maumaise humeur de ces deux grandes puissances contre la puissance encore plus grande du démon de Ferney. Je ferai, comme à l’ordinaire, un long sermon au coupable ; il niera le crime, puis il le recommencera.

— Et vous en rirez de tout votre cœur ?

— C’est possible, cela est si bon de rire, et Voltaire m’a donné si souvent ce plaisir ! mais je vais le lui rendre aujourd’hui en lui racontant ma petite scène à l’Académie.

— Que s’est-il donc passé ?

— Vous saurez que sous prétexte qu’il est déjà secrétaire de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, M. de Bougain-