Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/49

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— Quoi s’écria-t-elle, après les avoir laissé s’aimer depuis leur enfance, après avoir autorisé vous-même leur amour en donnant à croire qu’ils étaient destinés l’un à l’autre, vous les séparez tout à coup, et pour toujours !… mais c’est une horreur !…

— Eh ! je ne les sépare point à jamais, madame ; ils se retrouveront dans le monde, répond le maréchal d’un ton philosophique ; je n’ai pas envie de faire de mademoiselle de Richelieu une religieuse ; le mari que je lui donne ne l’enfermera pas dans la tourelle d’un vieux château, comme du temps des croisades ; et ce moment de contrariété passé, ma fille elle-même me remerciera de n’avoir point sacrifié ses intérêts de rang et de fortune au sentiment le plus fugitif : croyez-moi, je connais les femmes.

— Oui, toutes, excepté votre fille : cette âme craintive et passionnée n’est pas comprise de vous ; vous la croyez semblable à celle des femmes bonnes et faibles que vous avez séduites et quittées, et qui se sont consolées près d’un autre de votre perte. Vous rêvez déjà pour elle des compensations indignes au malheur que vous lui préparez… Mais vous ignorez que la force de cette jeune âme égale sa pureté ; vous ignorez que l’esprit romanesque qui inspire tant de folie aux cœurs inoccupés est ce qui éternise les sentiments malheureux. Vous verrez cette enfant si belle, si animée, languir, se courber sous le poids d’une douleur muette. Ces plaisirs, ces hochets de la vanité, si puissants sur l’esprit des femmes du grand monde, seront sans effet sur elle. En vain vous lui montrerez l’exemple de l’indulgence qu’on accorde à de certaines faiblesses. Son cœur restera fidèle à ses regrets ; d’ailleurs pensez-vous qu’il soit facile de rendre infidèle une femme adorée par l’homme le plus aimable et le plus distingué ? Espérez-vous que votre gros comte d’Egmont, le plus révérencieux, le plus silencieux, le plus ennuyeux des grands seigneurs de la terre, puisse faire oublier l’adorable comte de Gisors ? non, vous allez faire le désespoir de deux êtres parfaits, car j’en suis sûre, Louis en mourra de douleur (ici le maréchal fit un signe d’incrédulité) ; il en mourra, vous dis-je, reprit la douai-