Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/59

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Quelle folie ! dit la duchesse d’Aiguillon en voyant pâlir sa nièce.

— Cette folie est très-réelle, dit l’abbé de Broglie : le comte de Gisors, en revenant de Metz, a rencontré le duc d’Orléans sur la route du Raincy ; le prince était avec Tronchin, qui venait d’inoculer le duc de Chartres et Mademoiselle ; le docteur genevois, après avoir loué vivement le courageux exem­ple que donnait en ce moment le prince, se plaignit de ce qu’il ne trouvait personne qui voulût l’imiter. Il est vrai que la peur de mourir ou d’être défiguré retient beaucoup de monde, ajouta l’abbé, et que plusieurs résultats sinistres de l’inoculation en retardent le succès ; mais ces résultats n’ont point effrayé M. de Gisors : il s’est offert de gaieté de cœur à Tronchin, qui est sauté dessus sa proie aves toute la vivacité d’un novateur. Ainsi le comte Louis, à peine relevé d’une maladie mortelle, s’est volontairement jeté dans une autre.

— Vous verrez qu’il s’en tirera à merveille, dit le duc de Fronsac ; la mort est une bégueule qui fuit tous ceux qui la cherchent.

— Et pourquoi la chercherait-il ? demanda l’abbé de Bro­glie, qui, absent de Paris depuis plusieurs mois, ignorait ce qui s’était passé dans la famille de Richelieu. M. de Gisors a tous les avantages qui font aimer la vie ; il ne lui manque qu’une jolie femme, et l’on prétend que le duc de Nivernais lui des­tine sa fille.

À ces mots, le malaise de madame d’Egmont devint telle­ment visible, que madame d’Aiguillon l’emmena, sous un prétexte, dans la bibliothèque ; elles y trouvèrent le maré­chal de Richelieu, occupé à dicter la liste des livres qu’il voulait emporter avec lui ; et donnant des ordres pour que tout fût prêt, la nuit même, pour son départ, il était attendu aux îles d’Hyères, où l’escadre du marquis de la Galissonnière devait mettre à la voile aussitôt l’arrivée du maréchal, et conduire lui et ses troupes à l’île de Minorque.

Cette expédition, d’un succès très-incertain, était depuis quelque temps le sujet des conversations, des plaisanteries de la cour et de la ville. Aux épigrammes contre madame de