Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/63

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première fois qu’un sentiment superstitieux soit venu à l’aide d’une vertu chancelante. C’est souvent une faiblesse qui sauve d’une autre ; il n’y a que la froideur d’âme d’infaillible. C’est le marbre qui résiste au temps : tout ce qui aime a besoin de secours pour rester sage.

Madame d’Egmont s’était d’abord soustraite à toutes les visites dont on l’accablait, autant pour savoir ce qu’elle faisait en l’absence de son mari, que pour lui témoigner l’intérêt qu’inspirait sa situation ; mais la duchesse d’Aiguillon lui ayant fait entendre que sa réclusion donnait lieu à d’injurieuses conjectures, elle se décida à rouvrir sa porte.

Il est vrai que madame de Pompadour, effrayée de l’effet que produisait à la cour la beauté de la comtesse d’Egmont, et de l’admiration que le roi n’avait pas dissimulée pour elle, s’empressait de répandre le bruit que madame d’Egmont s’enfermait pour recevoir le comte de Gisors, dont le départ pour l’armée était différé sous un vain prétexte.

— Êtes-vous bien sûre de cela ? avait dit le roi ; j’ai peine à croire que la fille de Richelieu garde si peu de ménagements envers le monde, car on assure que ce père, le plus roué des roués de la cour de mon oncle le régent, a élevé sa fille dans les principes les plus sévères.

— Que font tous ces beaux principes contre une bonne passion ? reprit la marquise : le combat est plus long, voilà tout.

— Ah ! si Richelieu a mis dans sa tête que sa fille n’aura point d’amants, il gagnera cette gageure-là comme toutes les autres.

— Votre Majesté se trompe. Je suis sûre qu’il la perd en ce moment, et par sa faute même. En forçant sa fille à épouser un homme qu’elle n’aimait pas, il a redoublé l’amour de madame d’Egmont pour celui qu’il lui laissait aimer, avant que l’envie d’avoir pour gendre un grand d’Espagne lui eût tourné la tête ; c’est ainsi qu’il l’a rendue folle de M. de Gisors.

En prouvant au roi qu’il aurait à combattre un jeune rival, c’était décourager ses projets sur madame d’Egmont ; car madame de Pompadour savait que le cœur paresseux de Louis XV redoutait le moindre obstacle, que sa passion pour