Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/72

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans une complète ivresse, que la prison, les punitions les plus sévères ne pouvaient contenir, frappés du châtiment qui menace leur honneur, redeviennent sobres, soumis, et ne se disputent plus que la gloire de marcher le premier à l’ennemi. « Le maréchal, qui savait tout ce qu’on peut obtenir du soldat français exalté par l’honneur, profite de ce moment pour ordonner l’assaut. Les échelles se trouvent trop courtes de plusieurs pieds ; le soldat n’est point arrêté par cet obstacle, il monte sur les épaules de son camarade, il gravit le long de la muraille ; celui qui est renversé trouve vingt successeurs. Malgré le feu ennemi, on escalade un roc, les Français pénètrent dans la place, et le vieux général Blakenay et la garnison, étourdis par cette audace, demandent à capituler.

La reconnaissance de l’armée pour un général qui l’avait si bien commandée ne pouvait se comparer qu’à la joie d’un pareil triomphe ; chaque soldat racontait un trait de courage, de bonté ou de générosité du maréchal ; on en citait un particulièrement.

M. de Richelieu visitait tous les jours les postes les plus avancés ; un jour que la sentinelle d’un des forts s’amusait à tirer sur lui, il entend la balle siffler plus près de ses oreilles ; il s’approche d’un canonnier, et lui demande s’il ne peut pas le défaire de ce faquin-là qui pourrait être plus adroit une autre fois. Ce canonnier servait depuis trois jours sa batterie sans vouloir être relevé ; il se nommait Thomas, était déserteur des régiments qui venaient de débarquer à Mahon, et sachant qu’il aurait la tête cassée s’il était reconnu, il avait voulu prévenir son sort en se faisant tuer, mais il avait bravé le feu impunément.

Cet homme, noirci par la poudre, couvert de sueur et de poussière, défait et privé de nourriture depuis deux jours se traîne vers son général, et lui promet que s’il manque le soldat ennemi du premier coup de canon, le second l’atteindra. En effet, il vise, le coup part… et l’on voit le chapeau du soldat anglais sauter en l’air.

Le maréchal, charmé de tant d’adresse, s’approche pour en récompenser le canonnier, mais le malheureux épuisé de fa-