Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/78

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Il ne fallait pas moins qu’une telle considération pour déterminer madame d’Egmont à paraître chez la reine un jour où toute la cour y devait être réunie. L’absence de son père et de son mari lui avaient servi de prétexte depuis plusieurs mois pour ne pas aller à Versailles ; et maintenant qu’elle était sûre d’y rencontrer le maréchal de Belle-Isle, et peut-être… son fils… elle se sentait moins de courage encore pour s’y rendre. Mais la duchesse d’Aiguillon, la princesse de Marsan et les meilleurs amis du maréchal s’étaient joints à madame de Lauraguais pour prouver la nécessité de cette démarche ; madame d’Egmont céda à leurs avis.

Un cœur languissant sous le poids d’un malheur irréparable accueille avec avidité la moindre agitation, si pénible qu’elle soit. L’idée que le comte Louis et son père étaient devenus ses ennemis, qu’il lui fallait s’armer contre le ressentiment de l’homme qu’elle aimait, révoltait son âme, lui faisait haïr sa faiblesse, et lui donnait l’espoir d’en triompher.

— Non, pensait-elle, je ne saurais aimer longtemps celui qui peut être volontairement complice des moyens infâmes employés pour perdre mon père. Quoi ! spéculer sur sa défaite, tenter tout ce qui pouvait l’amener, sacrifier tout, jusqu’à la gloire de la France, pour obtenir la mort d’un général qui ne pouvait survivre à sa défaite ; et quand son habileté, son courage ont surmonté tous les obstacles ; lorsqu’il est prêt à venir chercher la récompense d’une affaire si glorieuse, l’exiler dans son gouvernement, l’empêcher d’entendre les actions de grâce du peuple ; ces louanges qui vengent de l’ingratitude des rois ! Ah ! s’il est vrai que le dépit, l’envie puissent corrompre ainsi une âme noble, cette âme n’existe plus pour moi ; je ne reconnais plus celui que j’aime dans l’ennemi de mon père et de la France !

C’est livrée à toute cette indignation que madame d’Egmont se laissa conduire par sa tante chez la reine.

Ce qu’avait prédit madame de Lauraguais arriva. À peine la comtesse d’Egmont eut-elle fait ses révérences, que la reine et les princesses lui adressèrent les mots les plus flatteurs pour elle et son père, sans oublier son mari et son frère, qui