Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/83

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tion, il se trouve des natures incorruptibles, que la contagion ne peut atteindre ; et tu devines déjà de qui je veux te parler.

— Ah ? je ne crois plus à rien, s’écria Louis ; si le cœur le plus noble, le plus désintéressé a pu succomber à tant d’infamie, quelle femme assez pure saura s’en préserver ?

— Celle qu’un père honorable, exempt des vices dont le duc de Richelieu faisait parade, a dû élever dans l’amour de ses devoirs, dans le noble orgueil d’y rester fidèle.

— Non, tout bonheur est impossible, pour moi, pour la femme qu’on me donnerait…

— Ainsi donc, il faut que je voie toutes mes espérances renversées ! reprit le maréchal d’un ton lamentable, il faut que je meure avec la triste certitude que ce nom, illustré par mes longs travaux, par le sang de tant de blessures, ce nom que tu promettais de rendre plus glorieux encore va s’éteindre à jamais ! et cela, parce qu’un premier amour, inspiré par une femme qui n’en était pas digne, te dégoûte de toute affection, de tout bien ! Toi que j’ai eu le courage d’élever presque durement, dans l’espoir de te voir affronter en homme les chagrins de la vie, comme les fatigues de la guerre, te voilà faible, abattu, prêt à sacrifier l’honneur de ta maison, le bonheur de ton père, au petit malheur d’avoir rencontré une femme infidèle.

Le maréchal cessa un instant de parler dans l’espoir que son fils allait répondre. Mais des soupirs étouffés soulevaient la poitrine de Louis ; on voyait sa pâleur extrême à la lueur des torches que portaient les gens qui devançaient le carrosse. Cet aspect avait quelque chose de funèbre. Le maréchal en frémit ; l’idée de la mort de son fils, de la seule affection qu’il eût au monde, de celui qu’il croyait devoir continuer son ambition, cette passion dévorante qu’il aurait voulu éterniser dans sa famille ; enfin l’idée d’un désespoir au-dessus de ses forces le rendit éloquent. Après avoir excité le dépit, l’orgueil, après avoir prouvé que ce serait manquer à l’honneur que de se laisser humilier sans se venger dignement, il était descendu à la prière.