Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/118

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jugez de ma surprise en l’entendant m’accabler de reproches et me menacer d’une séparation éclatante, si je continuais à vivre près de vous, à partager les profits de votre déshonneur ; que vous dirai-je ? il avait perdu la tête, les noms de madame de Mailly, de notre sœur Vintimille, le vôtre, il les mêlait pour les maudire ; enfin il a été jusqu’à me prêter l’intention de succéder à mes sœurs dans l’amour du roi, et il m’a signifié que j’eusse à le quitter, ou à ne plus retourner à la cour, car il ne serait jamais le lâche mari d’une favorite.

— Il faut lui obéir, dit vivement madame de la Tournelle dont la pâleur seule trahissait la souffrance ; il faut retourner près de M. de Flavacourt, et laisser au temps le soin de nous justifier toutes deux.

— Moi, vous laisser calomnier ainsi ? moi qui connais mieux que personne votre noble conduite : moi qui ai vu tout ce que vous avez fait pour détourner le roi du projet de vous séduire, je donnerais plus de crédit aux méchancetés qu’on invente en me séparant de vous ; non je ne le pourrais jamais ; ce serait infâme. J’ai déclaré à M. de Flavacourt que rien ne parviendrait à m’y résoudre.

— Je vous remercie, chère Hortense, de m’avoir réservé ce mérite ; laissez-moi retourner seule à Versailles, je l’exige, et dites bien à M. de Flavacourt que la preuve la plus sûre de mes droits à son estime est le conseil que je vous donne de me sacrifier à son injuste prévention.

À ces mots, madame de la Tournelle se lève ; madame de Flavacourt vient se jeter en pleurant dans ses bras : mais, craignant de voir fléchir son courage, madame de la Tournelle sort précipitamment et monte dans le carrosse qui l’attend, sans prendre congé de personne.

À l’une des grilles du parc qui donnaient sur l’avenue, deux femmes firent signe au postillon d’arrêter ; c’étaient madame de Mirepoix et la duchesse de Brancas, qui ne voulaient point laisser partir madame de la Tournelle sans lui dire adieu et sans lui demander la permission de lui présenter le marquis de Tressan, lorsqu’elles seraient de retour à Versailles. Ces détails de la vie de salon, ces devoirs futiles, mêles aux intérêts sérieux, aux situations poignantes, sont l’éternel tourment des gens du monde. Il n’y a pas moyen de s’en affranchir ; il fallut que madame de la Tour-