Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette courte réponse, cachetée, fut remise à Lebel, sans lui adresser de questions, sans chercher, par le moindre mot, à fixer son opinion sur l’entrevue demandée par le roi ; elle pensait qu’un confident des plaisirs de son maître devait la confondre dans son esprit avec toutes celles qui briguaient la place de favorite ; et faisant le sacrifice de l’estime de Lebel et de tous ceux qui ne pouvaient la comprendre, elle se dit en pensant au roi : « J’aurai toujours la sienne, et cela me suffit. »

Eh bien, elle se trompait sur l’opinion de Lebel : sa pénétration n’était pas en défaut sur ce point. Il avait remarqué tant de différence entre la joie vaniteuse que faisait naître habituellement le premier billet qu’il portait de la part du roi à une jolie femme, et la douleur profonde qui s’était peinte sur les traits de madame de la Tournelle en lisant la lettre du roi, qu’il croyait rapporter un refus.

— Je ne m’étonne plus de le voir si amoureux, pensait Lebel en retournant chez lui pour reprendre son habit de service ; jamais je n’ai vu de femme plus adorable. Quel teint ! quels yeux ! quelle taille imposante ! et puis cruelle avec tout cela ! Il y a de quoi rendre fou. Aussi pourquoi le roi va-t-il s’adresser à celle dont la dévote duchesse de Mazarin a fait l’éducation ? à une femme qu’on dit avoir été mariée depuis six années, sans avoir d’amant ! Elle devait être prude. Et puis elle s’est brouillée avec ses deux aînées, parce qu’elles étaient favorites ; le roi aura bien de la peine à la décider à faire comme elles deux. Tant mieux, l’aventure sera plus longue, plus difficile et plus importante. Oui, mais ce moment-ci pourra bien n’être pas commode à passer. Je crois que ce petit billet va donner beaucoup d’humeur ; et si le maître est réduit à souper ce soir avec madame de Mailly, le tête-à-tête ne sera pas divertissant.

Pénétré de ces idées, Lebel fut stupéfait d’étonnement en voyant les yeux du roi rayonnant de plaisir à la lecture de ce billet si laconique.

— Je sortirai de chez la reine à dix heures ; tu monteras chez madame de Mailly, tu la préviendras qu’ayant mal à la tête, je ne souperai point avec elle ; le coucher fini, tu redescendras par l’escalier dérobé avec un manteau brun, un chapeau uni ; tu t’habilleras comme tu l’étais tout à l’heure,