Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/211

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teaux pavoisés. Au milieu de ce convoi naval, se trouvait une gondole vénitienne chargée de musiciens qui faisaient entendre de ravissantes barcarolles, accompagnées par des guitares et chantées par des voix italiennes. Tout à coup ces voix se taisent ; on entend les accords de la harpe, les sons mélancoliques de la flûte et du cor, et l’écho retentit de cet air si suave, consacré et dédié à l’amour du meilleur de nos rois : Charmante Gabrielle, etc.

— Quel air divin ! s’écria la princesse : quel délicieux souvenir de ce temps de gloire et d’amour !

— Pauvre Gabrielle ! dit madame de Chevreuse avec une pitié méchante : elle aussi mourut empoisonnée !

— Pourquoi la plaindre ! elle est morte adorée, heureuse ; Henri IV a porté son deuil ! Ah ! ce n’est pas trop pour un tel bonheur que de le payer de sa vie !

En parlant ainsi, madame de la Tournelle avait un air inspiré qui donnait à sou beau visage une expression céleste. Le roi la contemplait avec adoration. Cette franchise d’amour et de dévouement, dans une personne dont la fierté et la retenue ne s’étaient jamais démenties, inspira aux plus indifférents autant île surprise que d’intérêt.

On rougit de servir une intrigue, mais on s’associe sans honte à la passion noble et courageuse qui sait braver la mort ; et cette passion, madame de la Tournelle ne prenait plus le soin de la cacher : la fin récente de sa sœur les soupçons trop fondés que l’on conservait encore sur cette mort si prompte, l’opinion reçue que le parti du cardinal de Fleury, que les jésuites s’opposeraient toujours et par tous les moyens à la puissance rivale d’une favorite : enfin, l’idée d’affronter un péril certain, ennoblissait à ses yeux sa faiblesse ; eu face de ses ennemis, sa courageuse fierté semblait leur dire :

« Tuez-moi, car il m’aime. »

Las de sacrifier aux convenances, le roi prit le parti d’offrir son bras à madame de la Tournelle, lorsqu’on descendrait à la porte de Beauté. Des paysans, qui avaient vu venir de loin les équipages, les piqueurs, crient, à tue-tête :

— Voici le roi, voici le roi !

Et tout le village accourt pour voir son souverain, les belles dames et les seigneurs qui l’accompagnent.

Les chemins sont trop mauvais pour aller en carrosse jusqu’au pavillon d’Agnès, mais une petite allée du bois de