Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/212

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Vincennes y conduit. Le roi et madame de la Tournelle y devancent tout le monde, escortés d’une troupe de villageois qui s’augmente de minute en minute. Le curé de Beauté arrive tout essoufflé ; il ne veut céder à personne l’honneur de montrer au roi les ruines du château, et, sans penser que la gravité de son ministère s’oppose au récit d’une chronique amoureuse, il raconte tout ce qu’il a recueilli sur l’histoire de ce château donné par Charles YII à sa maîtresse. Gomme ils sortaient du pavillon, et que les paysans se rangeaient pour laisser passer le roi, on entend la voix d’une femme qui demande à grands cris qu’on lui livre passage ; d’abord chacun résiste, mais le curé dit :

— C’est la pauvre Marianne.

Et l’on se range.

Elle porte un enfant dans ses bras :

— Grâce ! grâce pour son père ! dit-elle en tombant aux pieds du roi.

Et des sanglots lui coupent la parole. En vain le roi veut la relever, lui parle d’un ton affectueux, elle s’obstine à baigner sea pieds de larmes.

— Que puis-je faire pour elle ? demande Louis XV au curé.

— Son mari est un bon ouvrier, un brave homme, Sire, mais sujet à s’enivrer ; il y a trois mois qu’étant pris de vin il a tué un de ses camarades… et il a été condamné…

— Aux galères !… interrompt la femme d’un accent déchirant ; aux galères… oui… mon pauvre Jean-Louis !… lui qui serait plutôt mort de faim que de faire tort d’un sou à personne… aller aux galères avec des voleurs !… mon Dieu, vous ne le voudrez pas… il est déjà assez malheureux du mauvais coup qu’il a fait… s’il faut qu’il en soit puni comme cela… il se tuera, Sire, et ses enfants, et la pauvre Marianne en mourront aussi !… Grâce, not’bon roi !…

— Elle dit vrai, Sire, s’écrièrent à la fois presque tous les paysans ; et les femmes se mirent à genoux en répétant :

— Grâce ! not’bon roi, grâce pour Jean-Louis et Marianne !

— Donnez-moi vos tablettes, dit le roi à madame de la Tournelle ; puis, après avoir écrit quelques mots sur un des feuillets, il le déchire et le remet au curé. Consolez-vous, Marianne, ajoute-t-il d’une voix émue, et empêchez que votre mari ne nous fasse repentir de la grâce que nous lui accordons.