Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/223

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dame de la Tournelle pour lui remettre une lettre ; elle l’ouvre, et reconnaît l’écriture du duc d’Agénois, et lit ce qui suit :

« Vous aussi, madame !… qui aurait osé le prévoir ?… Ah ! vous ne vous étonnerez pas, je pense, que celui dont l’amour vous plaçait au rang des anges ne puisse assister à votre chute… Adieu, madame, je retourne à l’armée dans l’espoir d’y trouver bientôt la fin de mes souffrances. Que ferais-je en ce monde ?… je n’y crois plus à rien : j’avais une idole ; le ciel l’avait parée de tous ses dons, elle était belle et pure ! un sceptre l’a brisée… Mon admiration, ma foi, mes espérances, ma vie, tout est tombé avec elle… Ah ! madame, combien il faut que vous soyez heureuse pour que je vous pardonne ! »

Madame de la Tournelle tenait encore cette lettre et la relisait en pleurant, lorsque le roi entra.

— Pourquoi ces larmes ? dit-il en la pressant sur son cœur, chère Marianne, tant d’amour ne peut-il donc vous consoler de ce que vous coûte mon bonheur ! serait-ce quelque injure ? quelques-unes de ces chansons infâmes que ces misérables font pénétrer jusqu’ici ?…

— Non, répondit-elle, ces sortes d’outrages-là ne m’affligent point ; ils ne sauraient altérer ce que j’éprouve auprès de vous. Oui, là, sur ce cœur, il n’est plus d’injures, de remords, d’humiliations qui puissent m’atteindre ; mais quand je ne suis plus soutenue par votre présence…

— Eh bien, il faut te rappeler alors que ma pensée, ma vie sont à toi ; que, si je me livre à des travaux sérieux, c’est pour t’obtenir, te mériter, enfin pour te justifier.

— Ah ! tant de bonheur ne saurait être un crime ! dit madame de la Tournelle en essuyant ses yeux ; et, si je pleure, c’est de pitié ! celui qui aime seul me paraît aujourd’hui si à plaindre !

Alors elle présenta au roi la lettre du duc d’Agénois. En jetant les yeux sur la signature, le visage de Louis XV prit un air sombre ; il retira involontairement le bras qui entourait la taille de madame de la Tournelle.

— Et c’est cette lettre insolente qui vous fait pleurer ? dit-il d’un ton amer.

— Ah ! Sire, pouvez-vous trouver de l’insolence dans l’expression d’un regret si cruel.