Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/224

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— Ses regrets vous insultent ; et sans les ménagements que je dois avoir pour…

— Cher Louis, reprit-elle de l’accent le plus tendre, ne me faites point repentir de ma confiance ; en vous montrant cette lettre, j’ai voulu vous prouver qu’il ne pouvait plus exister aucun rapport entre le duc et moi.

— Vous les regrettez donc bien ces rapports, puisqu’ils vous coûtent des larmes ?…

— Je ne le nie point, Sire, son attachement, son estime m’honoraient, reprit avec fierté madame de la Tournelle, et je les regrette ; mais c’est bien moins sur leur perte que je pleure que le sort d’un cœur aimant qui se voit enlever l’objet de toutes ses affections ; comment, à la vue de semblables douleurs, ne pas faire un retour sur moi-même !…

— N’avez-vous donc rien à craindre, vous qu’on se dispute ainsi ? vous qu’on ne peut cesser d’adorer, aimante ou dédaigneuse ?

— Au fait, pourquoi m’alarmerai-je ? Votre amour, c’est ma vie. Ils finiront ensemble.

— Pardon, dit le roi en couvrant de baisers la main de madame de la Tournelle : après tant de sacrifices, oser douter encore, c’est une injure digne de châtiment ; mais je ne puis surmonter la jalousie que m’inspire cet homme. Je lui en veux de vous faire pleurer, je lui en veux de vous avoir parlé d’amour avant moi, d’être jeune, aimable ; enfin son nom me fait pâlir. Quand vous en parlez, mon cœur bat de rage, c’est une vraie démence. Mais vous en aurez pitié, n’est-ce pas ? vous me gronderez ; vous me répéterez que j’ai tort ; vous me le prouverez surtout, et je ferai ce que vous exigerez pour lui ; c’est dommage qu’il ne soit pas dans la diplomatie, ajouta-t-il en souriant, je lui donnerais de si bon cœur une ambassade !

— Ne lui donnez rien, répondit en riant madame de la Tournelle, laissez au maréchal de Belle-Isle le soin de récompenser ses services ; quand le dépit qu’il ressent aujourd’hui sera éteint, et que vous-même serez plus raisonnable, il se dévouera à vos intérêts avec la même constance qu’il porte dans ses attachements ; je le prédis : qui sait, vous le choisirez peut-être un jour pour ministre[1] ?

  1. Il le fut en effet après le duc de Choiseul.