Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/322

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bons serviteurs, et tout sou argent comptant qu’elle laissait aux pauvres.

Puis elle fit apporter son écria, mit à part un magnifique collier pour la duchesse de Modène ; la bague la plus simple pour madame de Flavacourt ; ses riches tablettes données par le roi furent destinées au duc de Richelieu ; elle ordonna de faire porter sa belle vierge du Corrége dans la galerie de tableaux de M. Duverney. Les plus belles éditions de sa bibliothèque furent pour M. de Chavigny, le maréchal de Belle-Isle, le maréchal de Xoailles ; chacun de ses amis reçut un souvenir d’elle.

Quand elle eut satisfait à ces adieux de cœur, elle fit approcher mademoiselle Hébert, et lui dit :

— Vous ne monterez plus cette montre. Quand ma dernière heure sera venue, vous la marquerez sur ce cadran, pour qu’elle lui rappelle longtemps le moment où j’ai cessé de vivre pour lui ; ensuite vous chargerez M. Duverney de la remettre au roi… avec mes cheveux. Je sais que, malgré tout ce que ce soin a de pénible, vous le remplirez avec exactitude. Prenez courage, ajouta-t-elle en entendant les sanglots qui suffoquaient la pauvre fille, tant de fidélité et de zèle, le ciel les récompensera.

Et ses forces, succombant à de si tristes émotions, elle resta plusieurs minutes sans connaissance ; bientôt après les convulsions revinrent, et elle passa alternativement des tortures les plus déchirantes, d’un délire effroyable, dans un profond anéantissement.

Le roi arriva. Malgré l’opposition des médecins, des amis, enfin de tout ce qui se trouvait là, il voulut la voir, et l’on ne saurait peindre son désespoir à l’aspect de son amie mourante. Hélas ! elle n’avait plus sa tête ; mais la Bible qu’elle tenait dans sa main contractée, le portrait qu’elle serrait sur son sein, disaient assez que son cœur pensait encore.

— Marianne, s’écria le roi éperdu, Marianne ! répondez-moi ; ô mon Dieu, rendez-moi sa vie ! ne souffrez pas qu’un si grand crime s’accomplisse !… C’est donc là cette puissance qu’on m’envie… Elle était tout pour moi, on me l’arrache, on la tue sous mes yeux… et je ne puis ni la sauver, ni la venger. C’est moi ! c’est mon amour qui l’assassine… Les monstres ! ils ont juré la perte de tout ce qui m’est cher. Ah ! que rie commencent-ils par moi ; j’attends