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comme des aventurières. Madame de la Tournelle, dans son désespoir, est allée je ne sais où. Quant à moi, me voilà entre les mains de la Providence[1].

Le duc de Gesvres, encore plus surpris de ce qu’il entend, la prie d’attendre un moment, vole chez le roi, le conduit à la fenêtre, lui montre la chaise solitaire qui figure d’une manière si étrange au milieu de la cour, et lui apprend qu’elle renferme depuis deux heures la marquise de Flavacourt. Il raconte le motif de cette singulière démarche ; et le roi, vivement ému, s’écrie :

— Allez donc vite la chercher ; qu’on lui donne un logement, et qu’on aille aussi à la recherche de sa sœur, madame de la Tournelle.

Pendant ce temps, la reine, sachant dans quel abandon les laissait la mort de leur tante, de cette femme respectable pour laquelle elle avait toujours eu de l’amitié, avait envoyé chercher les deux pauvres sœurs, pour les prendre sous sa protection. La personne qui amenait madame de la Tournelle rencontra madame de Flavacourt dans le moment même où le roi envoyait l’ordre de leur donner asile au château ; on conduisit les deux sœurs chez la reine. Cette princesse les reçut avec une bonté touchante, pleura avec elles, et leur dit que, si la duchesse de Mazarin leur avait tenu lieu de mère, son intention était de la remplacer. L’officier de la chambre qui les avait annoncées, témoin un instant de ce spectacle, en fut ému lui-même, et a raconté à plusieurs personnes cette scène attendrissante[2].

Aujourd’hui que l’usage autorise les jeunes femmes à se passer du patronage d’une vieille parente ; qu’elles peuvent vivre seules, sortir seules et se montrer en public sans la compagnie d’une autre femme, on ne peut se faire une idée de l’important service que la reine rendait aux deux sœurs en les logeant près d’elle. Car, dans ce temps de mœurs légères, quelle que fût la fortune d’une jeune veuve, elle ne pouvait avoir ce qu’on appelait alors sa maison, qu’autant que ses grands parents habitaient avec elle, il fallait, sous peine de perdre sa réputation, se retirer au couvent, tant qu’on était jeune et jolie, ou bien obtenir le haut patronage de quelque princesse du sang.

  1. Mémoires de Richelieu, tome VI.
  2. Vie privée du maréchal de Richelieu.