Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/52

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cune que les spirituelles flatteries du poète ne parvinrent point à vaincre. Cependant il était fier de le voir à sa cour ; car, ce qu’il enviait le plus au siècle de Louis XIV, c’était la foule de grands hommes qui avaient entouré le trône de son aïeul.

Le roi salue avec sa grâce ordinaire, il s’assied, le rideau se lève. Pendant ce temps, Louis XV se penche vers le duc de Richelieu, lui dit quelques mots, puis, se retournant du côté de la salle, il laisse voir un visage radieux où la plus douce espérance semble avoir remplacé les regrets et la langueur ; il n’a jeté qu’un regard sur madame de la Tournelle, et déjà elle n’a plus de doute sur l’envoi du bouquet ; d’ailleurs le roi tient à la main une petite branche d’héliotrope presque imperceptible, mais qui a bien vite frappé les yeux de madame de la Tournelle.

La voix enchanteresse de mademoiselle Gaussin se fait entendre, et l’attention générale se porte sur Zaïre. C’est Granval qui fait Orosmane, car Lekain n’avait point encore recréé ce rôle, et pourtant il produisait déjà beaucoup d’effet. À chaque tirade pompeuse, à chaque sentence rimée, des murmures d’approbation remplaçaient les témoignages bruyants d’un libre enthousiasme, tant il est vrai qu’en France la louange ou le blâme ont toujours un langage qui se fait jour à travers tout ce qu’on invente pour les réduire au mutisme.

Une grande partie des vers du rôle de Zaïre faisait allusion aux sentiments qui se disputaient le cœur de madame de la Tournelle. Aussi n’osait-elle point détourner ses yeux de dessus la scène, tant elle avait peur de l’observation dont elle se sentait l’objet. Les combats de Zaïre entre son devoir et son amour, quelle leçon à recevoir en face du sultan français ! Comme elle s’efforce de rester immobile au moment où mademoiselle Gaussin, emportée par la passion, s’accuse et s’écrie d’un accent déchirant : Frappe, dis-je, je l’aime !

Il lui semblait, en écoutant cet aveu, que chacun lisait sur son front qu’elle en pouvait faire un semblable. Malgré ses soins à ne point se tourner du côté du roi, une secrète oppression l’avertissait qu’elle était sous le poids de son re-