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X

LE JEU


Plusieurs fois, dans cette soirée, le roi s’était approché de madame de la Tournelle sans oser lui parler. En amour, les sentiments vrais sont timides, et ce roi, que tant d’aventures galantes devaient rendre confiant, et même audacieux, n’osait adresser la parole à la femme qui faisait battre son cœur.

Cependant il venait de lire dans sa pensée ; elle partageait son trouble, et Louis XV aimé ne pouvait tarder d’être heureux. D’où vient qu’il hésite à réclamer l’aveu qu’il espère ? C’est que, pour la première fois, il sent un obstacle à vaincre dans la noble résolution de madame de la Tournelle ; il sent qu’elle est de bonne foi dans son désir de lui résister, et il craint de perdre tout ce qu’il vient de gagner sur sa faiblesse en l’éclairant sur le bonheur qu’il en éprouve.

À la cour, où les émotions de l’amour-propre sont les seules qu’on puisse surprendre, une émotion du cœur paraît un phénomène dont chacun veut en vain se rendre compte ; car il faut pouvoir les éprouver pour expliquer ces troubles charmants qui naissent d’un regard, d’une inflexion, d’un rien, d’une fleur. Mais si la cause en est insaisissable, l’effet en est visible : c’est un vague dans les yeux qui ressemble à l’ivresse : c’est un visage animé, des lèvres roses et tremblantes, un front serein et des regards timides ; enfin c’est l’expression d’une joie craintive qui rendrait agréable la femme la moins belle, et donne à la beauté un charme irrésistible.

Celle de madame de la Tournelle en était si augmentée, que tout le monde sentait le besoin de le lui dire ou de parler à ses amis de l’admiration qu’elle inspirait.

— Vous me faites vraiment beaucoup d’honneur ce soir, madame, dit le duc de Richelieu : jamais oncle n’a reçu plus