Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/60

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— C’est un effroi ridicule qui ne saurait durer, dit M. d’Argenson, et vous n’en aurez pas dit quatre mots au roi, qu’il fera entendre raison au cardinal ; il est si facile de prouver que l’ouvrage n’attaque que le fanatisme et non la religion !

— Oui, reprit M. de Voltaire ; mais nos jansénistes de Paris, et surtout nos jansénistes convulsionnaires ne pensent pas ainsi : les bonnes gens ont cru que l’on attaquait saint Médard et monsieur saint Paris ; il y a eu même de graves inconvénients au parlement, qui ont représenté à leur chambre que cette pièce était toute propre à faire des Jacques Clément et des Ravaillac. Ne trouvez-vous pas que ce sont là de bonnes têtes ? Ils croient sans doute qu’Harpagon fait des avares et enseigne à prêter sur gages.

— Tranquillisez-vous : le Tartufe essuya autrefois de plus violentes contradictions ; il fut enfin vengé des hypocrites.

— J’espère l’être des fanatiques ; car enfin Mahomet est Tartufe le Grand.

— Vous obtiendrez justice, j’en suis certain, reprit M. d’Argenson en souriant des saillies de Voltaire ; et peut-être sortirez-vous de l’audience que vous allez avoir avec l’autorisation de faire jouer Mahomet à la Comédie française. Le duc de Richelieu vous est tout dévoué : il plaidera votre cause, celle du public, avec son adresse ordinaire, et vous l’emporterez sur les convulsionnaires ; mais je vous engage à ne pas dire un mot sur le roi de Prusse ni sur les offres qu’il vous fait d’aller vivre à sa cour pour vous y combler d’honneurs et de récompenses. Votre talent, votre mérite expliquent suffisamment une telle proposition ; mais vous concevez qu’il nous est permis d’en être jaloux. Ce Frédéric fait sonner si haut sa gloire et sa philosophie, que nos oreilles royales en sont un peu étourdies. Le plus sûr, croyez-moi, est d’éviter à certaine personne le retentissement d’un bruit qui lui déplaît.

— Eh ! qui penserait à aimer autre chose que la France, et tant de gens d’esprit qui l’habitent et la gouvernent, si les lettres y trouvaient encore la protection que leur accordait Louis XIV ? Quel roi ! et ce qu’il a fait dans son royaume devrait servir d’exemple ! Il chargea de l’éducation de son fils