Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/88

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que soient ces questions ; songez que c’est votre camarade d’enfance, que c’est presque un frère qui les fait à sa chère petite Ritournelle[1].

— Hélas ! j’ai peur d’y avoir trop bien répondu, reprit-elle d’un ton triste.

— Quoi ! tant d’agréments, tant de qualités brillantes ne vous touchent point ?

— Je ne veux pas me remarier.

— Résolution qu’on met toujours en avant pour cacher l’amour que l’on combat, ou qui l’emporte sur tout autre.

— Quelle présomption ! répliqua-t-elle avec impatience ; Quoi ! parce qu’on ne veut pas épouser quelqu’un, il faut se mourir d’amour pour un autre ?

— Cela n’est pas nécessaire ; mais cela est souvent… Presque toujours, ajouta M. de Noailles, en voyant rougir madame de la Tournelle. Au reste, croyez bien que, pour oser vous parler de la sorte, il faut vous être dévoué autant que je le suis. Mais je vous connais, je sais combien ce qui causerait la joie, le délire d’une autre femme, peut renfermer pour vous de malheur et de larmes ; et je frémis du bonheur qui vous menace.

— Tranquillisez-vous, dit fièrement madame delà Tournelle, je saurai m’en garantir.

— Il n’en est qu’un seul moyen.

— Je vous comprends ; mais celui-là m’est impossible.

— Auriez-vous donc promis… ?

— Oui, je me suis promis de rester libre, complétement libre, et j’espère me tenir parole, répondit-elle en feignant de prendre le change sur la question que n’avait point achevée M. de Noailles.

— Libre ! vous ne l’êtes déjà plus ; et pourtant on croit à Versailles que votre résistance invincible a donné tant d’humeur au maître, qu’il est décidé à ne plus s’occuper de vous. Je ne vous rapporterais pas ces bruits, que vous les devineriez aux manières indifférentes de tout ce qui est ici envers vous. Voyez, M. de Montesquieu à part, dont l’esprit supérieur est étranger aux sentiments comme aux intrigues de cour, tout le monde vous regarde ici comme une per-

  1. Petit nom que son vieil ami, le maréchal de Noailles, donnait à madame de la Tournelle.