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Employer les loisirs d’une longue traversée à soigner, à désennuyer deux femmes belles, spirituelles, et ne pas devenir amoureux de la plus jeune, serait de la part d’un homme agréable et bien élevé, une impolitesse dont M. Fresneval était incapable. Mais tout en cédant au charme invincible qui le rendait si heureux d’obéir aux moindres volontés de la comtesse des Bruyères, il n’avait pas la présomption de pouvoir l’aimer autrement qu’en esclave. La voir souvent, l’adorer en secret, lui semblait une condition préférable à tous les bonheurs faciles auxquels il avait droit de prétendre.

Pour les imaginations poétiques, pour les âmes délicates, un amour sans espoir, bien placé, rapporte plus d’émotions enivrantes qu’un sentiment réciproque obtenu sans peine et cultivé sans gloire. Édouard ne se fit aucune illusion sur le sort qui l’attendait ; mais préférant un noble malheur à des plaisirs communs, il s’enferma dans sa passion comme un avare dans son trésor, et non moins soigneux d’en cacher l’existence, il la revêtit de tant de froideur et de respect, qu’il la crut pour jamais à l’abri du soupçon.

Nulle tempête, nul danger ne vint lui offrir une occasion de se dévouer ni de se trahir. Au débar-