et qu’il faut avoir donné souvent des preuves d’une vraie sensibilité pour s’être acquis le pouvoir d’amuser ceux qu’on plaint.
XLIII
La mode n’était pas encore venue de payer à grands frais de premiers artistes pour amuser un salon. Lorsqu’ils consentaient à abaisser leur talent jusqu’à un petit rôle de comédie, un air de vaudeville, une décoration de théâtre de société, empressés de reconnaître leur complaisance, le maître et la maîtresse de la maison redoublaient de soins pour les faire valoir, et il était rare que l’un des deux ne fût pas acteur dans la troupe qui réunissait tant de célébrités. Aussi la certitude de n’être point soupçonné de faire un métier lorsqu’on se prêtait à un plaisir permettait-elle souvent à nos plus grands compositeurs, peintres ou poètes, de faire les frais de la soirée. Ce jour-là, l’auteur d’Agamemnon, celui de la Fille d’Honneur et le spirituel auteur de Jean de Paris s’étaient réunis pour écrire et pour jouer le prologue d’ouverture du théâtre. Cette camaraderie dramatique, sans faire le tapage des camaraderies d’aujourd’hui, n’avait alors d’autre but que d’employer beaucoup d’esprit à faire rire ; et l’on applaudissait franchement des scènes d’un comique décent et naïf lorsque madame de Lorency arriva. La petite pièce finie, on proclama les grands noms des auteurs au bruit des applaudissements qui faisaient retentir la salle, car ce n’était pas la mode non plus d’accueillir froidement ce qui plaît.
Alors, le chef d’orchestre se glissa humblement à la place où il devait commander à Rhodes, à Grasset, à Baillot et autres violons de ce grade, à Frédéric Duvernoy, au célèbre Lamarre, enfin à un orchestre qu’aurait envié le plus grand souverain. On devine bien que cette compagnie d’élite ne pouvait obéir qu’à un illustre général : aussi était-ce M. Chérubini qui dirigeait leurs mouvements de toute l’autorité de son piano-forté. On exécuta l’opéra de ce jeune compositeur, que sa qualité