Page:Nichault - Une aventure du chevalier de Grammont.djvu/27

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Nous devons avec soin détourner notre vue ;
Car du monde les lois ordonnent, avant tout,
De ne jamais laisser soupçonner notre goût ;
Nous n’y devons parler qu’aux gens sans conséquence ;
Aussi nos mots flatteurs y sont presqu’une offense.
Encor si tant d’ennuis nous sauvaient des propos,
Que répandent sur nous les méchants et les sots ;
Mais loin de savoir gré d’une telle réserve,
Elle irrite souvent le malin qui l’observe ;
Il y croit voir l’effort d’un esprit agité,
Qui veut à tous les yeux cacher la vérité.
Osez-vous accueillir la moindre politesse,
Il lit dans vos regards l’aveu d’une faiblesse :
Votre ennui lui paraît une douce langueur ;
Votre gêne, un tourment, dont il cherche l’auteur ;
Enfin, dans son ardeur à vous trouver coupable,
Sur le silence même il invente une fable.
Ah ! j’en prends à témoin les femmes de tout rang,
Qui de ces bals joyeux reviennent en pleurant.
La plus belle par fois, sous sa gaité factice,
D’un sentiment jaloux vous cache le supplice.
Oui, toutes vous diront que ces brillans plaisirs,
Ce pouvoir dangereux d’exciter vos désirs,
Ces triomphes d’un jour que chacun leur envie,
Ont coûté quelque chose au bonheur de leur vie.

MATTA.

C’est parler comme un ange, et cet accent si doux,
Fait qu’en vous écoutant l’on pense ainsi que vous.

LE CHEVALIER.

Sans nier le plaisir qu’on trouve à vous entendre,
Madame, à votre avis je ne saurais me rendre,
Et convenir ici que ces aimables lieux,
Où tout se réunit pour enchanter les yeux,
Cachent pour le bonheur des piéges redoutables.
Je les crois bien plutôt à l’amour favorables.