Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/72

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sance, avec cette férocité qui se plaît à voir couler le sang d’un frère, ou d’un ami, dont le seul crime est de ne se pas ranger du parti des assassins. En vérité il y a de quoi dégoûter d’une vertu qui peut se trouver au milieu de tant de vices, et il me semble qu’on ne lui doit pas plus de respect qu’à une honnête femme qu’on rencontrerait dans un mauvais lieu.

— Soit ; mais c’est encore une bonne fortune assez rare, pour qu’on en profite sans ingratitude.

— Vous verrez que sa présence chassera tout le monde d’ici.

— J’en serais fâchée, car je ne la sacrifierais à celle de personne[1].

— Et pourtant elle vous est bien désagréable.

— J’en conviens ; mais l’idée de l’avoir parfois détourné d’une méchante action, et l’espérance de le ramener à de meilleurs principes, me font supporter assez patiemment sa conversation. D’abord j’ai l’air de convenir avec lui que l’excès du patriotisme légitime tout : ce premier point accordé, j’essaie de lui prouver que rien ne ressemble moins au vrai patriotisme que cette rage d’égalité qui fauchait toutes les têtes que la naissance ou le mérite élevaient au-dessus des autres. Je lui ai déjà fait avouer, dans notre dernier entretien, qu’on avait été un peu trop loin, et je suis convaincue que si l’on pouvait lui garantir la possession de sa place, il parlerait déjà de ses remords.

Gustave, plus touché du motif qui portait sa mère à bien accueillir le citoyen Robertin, que de l’espoir de sa conversion prochaine, promit de ne voir en lui que le conservateur de ce qu’il possédait de plus cher au monde, et de le défendre à ce titre contre tous ceux qui l’attaqueraient.

  1. Il faut dire, à la gloire des ci-devant nobles de cette époque, que les preuves d’une semblable reconnaissance étaient alors fort communes. Les amis du feu duc de L*** savaient tous qu’en acceptant son dîner, ils s’exposaient à rencontrer un certain cordonnier, ex-jacobin, qui avait tous les jours son couvert mis à la table du duc de L***, et cela dans un temps où l’on pouvait déjà être aussi impunément ingrat que dans celui-ci.