Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/95

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avait livrés ce jour-là ne méritaient pas de grands efforts de son imagination ; aussi lui avait-on demandé plus de folie que d’esprit. Talma, qui réunit dans le plus aimable caractère la mélancolie d’Hamlet à la gaieté d’un enfant, avait voulu assurer les triomphes du prince turc, en se chargeant du soin de son costume, composé en partie des plus beaux châles de l’Inde ; on avait rempli ses poches de petits flacons d’essence de roses et de pastilles du sérail : il en distribua plusieurs à ces demoiselles, qui ne doutèrent point, à ce début généreux, de l’authenticité des pouvoirs de ce grand ministre ; tant elles ont pour principe de ne croire qu’à ceux qui donnent !

En dépit de toutes les agaceries de ses rivales, mademoiselle Aubry fut placée à côté du Mamamouchi, comme étant celle dont la fraîcheur, l’embonpoint et les manières simples paraissaient le séduire davantage. Mon maître, instruit d’avance de ce choix flatteur, avait projeté d’en consoler de son mieux la charmante Albertine ; et, pour la convaincre de cette bonne intention, il lui avait dit en la conduisant à table :

— J’aurais parié que ce Turc se passionnerait pour cette grosse odalisque ; les gens de son pays n’achètent leurs maîtresses qu’au poids de leurs charmes, ils n’entendent rien à ceux d’une jolie taille.

Ce petit compliment détourné valut à Gustave un signe qui voulait dire, asseyez-vous auprès de moi.

Mademoiselle Albertine parut dès lors prendre un grand plaisir à sa conversation. Pendant qu’elle oubliait ainsi, en causant avec mon maître, tous ses droits sur le cœur du seigneur ottoman, il disait dans un baragouin moitié turc et moitié italien des choses si extravagantes, que l’on en riait aux éclats. Cette gaieté bruyante est favorable au mystère, et je l’ai vue souvent protéger un tête-à-tête sous les yeux mêmes du jaloux qui le redoutait. Je pense que mon maître profitait déjà depuis longtemps du bourdonnement de toutes ces voix réunies, pour se faire écouter particulièrement de mademoiselle Albertine, lorsque, après un entretien fort animé, et qui me donnait envie d’en apprendre le sujet, j’entendis ce dialogue.

— Non, vrai, c’est impossible,