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LA LOI DU SUD

Il continuait d’avancer, du même pas souple et silencieux, feutré par le sable. Un chuchotement tendre, un gémissement retenu à grand’peine l’immobilisèrent. Impossible de s’y méprendre : des amants étaient là. Allait-il poursuivre, laissant aux autres ce bonheur qu’il venait de connaître ? Encore amolli par les caresses de Chiffa, il y pensa un instant mais son devoir se révéla ; aucune femme de la tribu n’était libre et quel époux arabe, reniant l’instinctive pudeur ancestrale, songerait à aimer hors de sa tente ?

Son visage se durcit en une expression farouche, soulignée par l’éclat des yeux qui s’allumaient de feux menaçants : la loi du Sud lui imposait, à lui, témoin de la faute, de la châtier. À celui qui voit appartient la vengeance !

Précautionneusement, pour ne pas déceler sa présence, il s’approcha des deux formes étroitement enlacées. Malgré l’obscurité, il reconnut Kheira, la femme de son frère ; son complice était un des hommes de la tribu.

Il resta là, un instant, immobile, silencieux. Puis, sans bruit, il s’éloigna, pénétra sous sa tente, prit son fusil, l’arma. Au moment de sortir, il hésita. La rigide notion du devoir faiblissait en lui ; trop de souvenirs l’assaillaient encore.

— Pas ce soir ! murmura-t-il.

Il leur accordait leur grâce, jusqu’à demain. S’il les retrouvait ensemble ils subiraient alors leur destin.

Un jour passa. La nuit couvrit le désert. À l’heure où, d’habitude, il rejoignait Chiffa, il se mit à l’affût. Mais rien n’arriva.

Le lendemain, il déjeuna sous la tente de son frère Kouider. Plus curieusement que d’habitude, il examina Kheira. C’était une femme lourde et belle, aux hanches mouvantes, au front tatoué de bleu, enveloppée d’un haouli retenu aux épaules par des épines de palmiers, une de ces femmes, en somme, faite pour tous, et qu’il suffisait de prendre. Visage nu, elle accomplissait en