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LA LOI DU SUD

contre la foule amassée ; elle heurta un groupe qui ne s’écarta point. Avant de rebondir, elle se pencha vers un spectateur, lui murmurant, sans s’arrêter un seul instant :

— Rejoins-moi.

Immobile, muet, il répondit d’un abaissement des paupières, lourdes sous le feu de son regard.

Un couple de noirs succéda à la danseuse ; l’homme vêtu d’un pull-over bon marché ; elle, presque nue sous une gandourah s’ouvrant à chacun de ses mouvements. Allouane ne les vit même pas. Il se leva, rejoignant Chiffa qui, son numéro terminé, l’attendait dans le fond de la salle. La foule était si dense, si attentive au spectacle, que nul les remarqua.

Chiffa prit son amant par la main et l’entraîna rapidement dans l’arrière-salle qui servait de débarras.

— On sait que c’est toi qui a tué. On te recherche, chuchota-t-elle.

Elle était au courant du meurtre, ayant vu Allouane cette nuit-même ; les bavardages des femmes lui avaient appris le reste.

— Mets cela ! dit-elle avec une impérative douceur qui commandait l’acceptation.

Elle lui tendit un haïk dont elle l’aida à s’envelopper. Bientôt, on ne vit plus de lui qu’un œil noir. Mais, si dans ce fantôme voilé, on soupçonnait un homme — et pourquoi le ferait-on ? — nul, même un blanc, n’oserait soulever l’étoffe pour découvrir le visage.

Leurs mains s’étreignirent, elle passionnée, lui, reconnaissant.

— Reviens plus tard, quémanda-t-elle.

Elle repartit se soumettre au rythme des khaïtas tandis qu’Allouane, du pas rapide des honnêtes femmes, se glissait dans les ruelles bruyantes, gorgées de monde, Parvenu en ville, il s’enfonça dans les rues couvertes, humides et sombres. Parfois, un corps le heurtait ; des chèvres bêlantes accueillaient son passage d’un bon-