admise que le caractère est immuable et que l’être
du monde se répète perpétuellement dans tous les
caractères et les actions : dans ce cas, l’œuvre de
l’artiste devient l’image de l’éternellement arrêté,
tandis que pour notre conception l’artiste ne peut
jamais donner à son image de valeur que pour un
temps, parce que l’homme en général est le produit
d’une évolution et sujet à changement, que
l’individu n’est rien de fixe et d’arrêté. Il en est de
même dans une autre hypothèse métaphysique :
supposé que notre monde visible ne fût qu’une
apparence, comme les métaphysiciens l’admettent,
l’art alors viendrait se placer assez près du monde
réel : car entre le monde de l’apparence et le monde
de rêve de l’artiste, il n’y aurait en ce cas que trop
de ressemblance ; et les différences qui resteraient
mettraient même l’importance de l’art plus haut que
l’importance de la nature, parce que l’art exprimerait
les formes identiques, les types et les modèles
de la nature. — Mais ces hypothèses sont fausses :
quelle place, après cette constatation, reste encore
à l’art ? Avant tout, il a, durant des milliers d’années,
enseigné à considérer avec intérêt et plaisir la
vie sous toutes ses formes et à pousser si avant nos
sensations que nous finissons par nous écrier :
« Quoi que soit enfin la vie, elle est bonne. » Cette
théorie de l’art, de prendre plaisir à l’existence et
de regarder la vie humaine comme un morceau de
la nature, sans se laisser trop violemment aller à
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HUMAIN, TROP HUMAIN