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HUMAIN, TROP HUMAIN


— Swift a hasardé cette proposition, que les hommes sont reconnaissants dans la proportion où ils cultivent la vengeance.

45.

Double préhistoire du bien et du mal. — Le concept de bien et de mal a une double préhistoire : c’est à savoir d’abord dans l’âme des races et des castes dirigeantes. Qui a le pouvoir de rendre la pareille, bien pour bien, mal pour mal, et qui la rend en effet, qui par conséquent exerce reconnaissance et vengeance, on l’appelle bon ; qui est impuissant et ne peut rendre la pareille, compte pour mauvais. On appartient, en qualité de bon, à la classe des « bons », à un corps qui a un esprit de corps, parce que tous les individus sont, par le sentiment des représailles, liés les uns aux autres. On appartient, en qualité de mauvais, à la classe des « mauvais », à un ramassis d’hommes assujettis, impuissants, qui n’ont point d’esprit de corps. Les bons sont une caste, les mauvais une masse pareille à la poussière. Bon et mauvais équivalent pour un temps à noble et vilain, maître et esclave. Par contre, on ne regarde pas l’ennemi comme mauvais, il peut rendre la pareille. Les Troyens et les Grecs sont chez Homère bons les uns et les autres. Ce n’est pas celui qui nous cause un dommage, mais celui qui est méprisable qui passe pour un mauvais. Dans le corps