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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

créateurs d’hommes et, en général, des formateurs, des continuateurs de la vie : tandis que la gloire de ceux d’aujourd’hui consiste peut-être à dépouiller, à briser les chaînes, à détruire. — Les Grecs anciens exigeaient du poète qu’il fût l’éducateur des adultes : mais combien aujourd’hui un poète aurait honte si l’on demandait cela de lui — de lui, qui ne fut pas même un bon élève et qui, par conséquent, ne devint pas quelque chose comme un bon poème, belle formation lui-même, mais, au meilleur cas, en quelque sorte le farouche et attirant amas de décombres d’un temple, et, en même temps, une caverne de concupiscence, couverte, telle une ruine, de fleurs, de plantes piquantes et vénéneuses, habitée et visitée par les serpents, les vers, les araignées et les oiseaux, — et c’est un objet de triste réflexion que de se demander pourquoi les choses les plus nobles et les plus exquises se présentent maintenant telles des ruines, sans le passé et l’avenir de la perfection.

173.

Regards en avant et en arrière. — Un art tel qu’il rayonne d’Homère, de Sophocle, de Théocrite, de Caldéron, de Racine, de Gœthe, comme l’excédent d’une direction de vie sage et harmonieuse — c’est là la vraie conception, à quoi nous finirons par recourir, lorsque nous serons devenus nous-mêmes plus sages et plus harmonieux : et non point ce jaillissement barbare, quoique si charmant, de choses ardentes et bariolées, ce jaillissement hors d’une âme chaotique et non domptée que