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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

tables que tous les ouvrages de philosophie allemande ensemble : des idées de cette espèce particulière qui crée des idées et qui… je suis embarrassé pour finir ma définition ; bref, ces écrivains me semblent n’avoir écrit ni pour les enfants ni pour les exaltés, ni pour les jeunes vierges ni pour les chrétiens, ni pour les Allemands, ni pour… me voici encore embarrassé pour terminer ma liste. — Mais pour formuler une louange bien intelligible, je dirai qu’écrites en grec leurs œuvres eussent été comprises par des Grecs. Combien, par contre, un Platon lui-même aurait-il pu comprendre des écrits de nos meilleurs penseurs allemands, par exemple de Gœthe et de Schopenhauer, pour ne point parler de la répugnance que lui eût inspirée leur façon d’écrire, — je veux dire ce qu’ils ont d’obscur, d’exagéré et parfois de sec et de figé — ce sont là des défauts dont ces deux écrivains souffrent le moins parmi les penseurs allemands et ils en souffrent trop encore ! (Gœthe, en tant que penseur a plus volontiers étreint les nuages qu’on ne le souhaiterait, et ce n’est pas impunément que Schopenhauer s’est promené presque toujours parmi les symboles des choses plutôt que parmi les choses elles-mêmes). — Par contre, quelle clarté et quelle précision délicate, chez ces Français ! Les Grecs les plus subtils auraient été forcés d’approuver cet art et il y a une chose qu’ils auraient même admirée et adorée, la malice française de l’expression : ils aimaient beaucoup ce genre de choses sans y être précisément très forts.