Page:Nietzsche - La Volonté de puissance, t. 1, 1903.djvu/259

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nous ne voulons seulement pas nous nuire les uns aux autres, — c’est pourquoi nous défendrons certains actes dans certaines conditions, c’est-à-dire en égard de nous-mêmes, tandis que nous ne saurions honorer assez les mêmes actes, à condition qu’ils s’appliquent à des adversaires de la communauté, par exemple à vous. Nous élevons nos enfants en vue de ces préceptes, ils grandissent sous cette discipline : Si nous étions animés de ce radicalisme qui plaît à Dieu et que recommande votre sainte déraison, si nous avions l’esprit assez mal fait pour condamner la source de ces actes, le " cœur ", le " sentiment ", ce serait là condamner notre existence et avec elle sa condition suprême - un sentiment, un cœur, une passion à qui nous rendons les honneurs suprêmes. Nous évitons par notre décret que ce sentiment n’éclate d’une façon inopportune et cherche à s’ouvrir des voies, — nous agissons sagement en nous donnant de pareilles lois, nous sommes moraux, nous aussi. Ne soupçonnez-vous donc pas combien il nous en coûte, quels sacrifices, quelle discipline, combien de victoires sur nous-mêmes, de quelle dureté nous avons besoin ? Nous sommes véhéments dans nos désirs, il y a des moments où nous voudrions nous dévouer nous-mêmes… Mais, " l’esprit public " se rend maître de nous… observez donc que c’est là presque une définition de la moralité.