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Page:Nignon - L'heptaméron des gourmets.djvu/27

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dire encore des sensations exquises que donnent au toucher la peau fraîche des cerises ou celle soyeuse et duvetée des pêches ?

Combien peu cependant les daignèrent apprécier à leur juste mérite, ces délices de la table, qui ne se peuvent réaliser qu’à force de labeur ? Pour ces gens, gourmandise était synonyme de gloutonnerie ; et les Spartiates étaient des héros, qui faisaient leur ordinaire d’un sauvage brouet. Jamais un artiste n’est sorti de Sparte ; et c’est d’Athènes ou d’Alexandrie que vinrent Épicure et Aristippe, Anacréon, le poète du vin, et Archestrate, l’auteur du « Bien-Manger ». C’est en Grèce que le philosophe Aristoxène arrosait chaque soir de vin doux ses laitues, pour les cueillir le lendemain, à l’aurore.

Chez nous, de même, les vrais poètes, ont chéri la Cuisine et lui ont voué d’impérissables vers. Dans ces cabarets, où depuis Villon défilèrent leurs troupes, point n’en est qui n’ait sacrifié à la bouche. C’est à la Pomme de Pin, au milieu des pots, que Racine recevait la visite des Grâces qui firent leur sanctuaire de l’âme d’Aristophane, et que Despréaux, censeur impitoyable du Repas ridicule, vantait Boucingo et vouait au Styx les Crenet, les Mignot et autres empoisonneurs. Quant à Molière, commensal heureux du Roi Soleil, il propose à notre sympathie Chrysale, cet amateur de potages. Comment rougir, en telle compagnie, de l’intérêt que suscite en nous un passe-temps si agréable, celui qu’essaya Platon pour oublier la mort de son maître ?

Ami lecteur, je t’imagine volontiers feuilletant ces pages un soir d’été, à la clarté bleue des étoiles qui s’allument. Les ombres s’allongent des bosquets qui se sont tus ; et tu cherches pourquoi