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de n’importe quel aloi : il n’y a point de matière Philosophique, mais une certaine coutume de réunir des affirmations au moyen de techniques complètement vides par elles-mêmes ; le Thomisme au même titre que le Kantisme fait partie de la Philosophie.

La Philosophie dit n’importe quoi, elle n’a point de vocation éternelle, elle n’est jamais, elle n’a jamais été univoque, elle est même le comble de l’activité équivoque. La Philosophie en général est ce qui demeure des différentes philosophies lorsqu’on les a vidées de toute matière et qu’il n’en subsiste plus rien qu’un certain air de famille, comme une atmosphère évasive de traditions, de connivences et de secrets. C’est une entité du discours.

Comme il ne se peut point cependant qu’une entité se constitue tout à fait sans raisons, on peut avancer que les philosophies possèdent une unité formelle de dessein : elles revendiquent, comme un titre, comme une prétention permanente, le pouvoir et la fonction de formuler des dispositions, des directions de la vie humaine. La Philosophie finit toujours par parler de la position des hommes, elle obéit toujours au programme que lui assigna Platon : « L’objet de la Philosophie, c’est l’homme et ce qu’il appartient à son essence de pâtir et d’agir. »

Mais comme il n’y a pas un ordre unique de la position humaine, une solution établie pour l’éternité du destin des hommes, une seule clef de leur situation, cette Philosophie demeure complètement équivoque. La première tâche qui est proposée à une entreprise critique, à une révision essentielle est la définition de l’équivoque présente du mot Philosophie.