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Aucune vocation mystique, aucune prédestination théologique, aucune grâce n’enjoignent à la Philosophie de travailler réellement pour les hommes : lorsque les jeunes gens, lorsque les amateurs sincères des idées estiment que la Philosophie est la mise en œuvre de la bonne volonté, et comme l’exécution de sa promesse, ils admettent implicitement, sans critique préalable, cette vocation, cette prédestination et cette grâce efficace.

Mais, derechef, elles n’existent pas. On ne saurait juger aucune philosophie particulière en faisant appel, comme à un étalon invariable de mesure, à cette grande vocation et à ce grand pouvoir permanents de la Philosophie.

On peut trouver que la philosophie de M. Bergson est répugnante, que celles de Boutroux, de Leibniz l’étaient, avec bien des raisons limitées à ces objets, mais on ne peut pas dire qu’elles sont répugnantes parce qu’elles constituent des déviations passagères, des maladies accidentelles de la Philosophie Éternelle, qui n’existe pas. On ne trahit point un être de raison. M. Maritain croit qu’il y a une Philosophie Éternelle. Qui n’a point d’entretien, de commerce avec Dieu ou avec ses docteurs ne sentira jamais cette éternité. L’éternité même lui paraîtra condamner chaque homme à une existence, à une pensée de forçat.

Simplement, M. Bergson, M. Boutroux, appartiennent à une famille de philosophes de laquelle je suis l’ennemi : mais cette inimitié ne repose pas sur l’amour de la destination éternelle de la Philosophie en soi. Je ne suis pas confident du Destin.

De même, l’exploitation présente des ouvriers, l’anarchie de la terre, la corruption des politiques, la misère sentimentale dont tout le monde est en train de mourir ne sont pas des déviations