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mort la tâche de conservation bourgeoise qu’il avait entreprise dans sa vie. Tant de science, de critique, de documents s’épanouit en propagande. Le succès de Durkheim vint justement des propagandes morales qu’il était capable de fonder, des mesures de défense sociale qu’il était le premier à fournir si sûrement. Aussi bien on verrait que l’échec universitaire de M. Bergson vint du fait qu’il n’était point moraliste, ne fournissait aucun mot d’ordre : il donnait aux bourgeois des motifs d’orgueil intérieur et de délectation solitaire, il ne les défendait point contre leurs ennemis. Lorsque la philosophie de M. Bergson eut perdu la position mondaine qu’elle avait su conquérir et qu’elle eut amené à Dieu quelques jeunes hommes impatients d’avoir une âme et qu’ennuyaient les fiches de Durkheim et de M. Lanson, elle ne servit plus qu’à fournir des chapitres de psychologie aux professeurs paresseux. Par l’ouvrage de M. Roustan, ils vécurent quelque temps de la monnaie de cette pièce fausse.

De la même façon, M. Lalande soutint en son temps une thèse qui fit quelque bruit, bien qu’elle soit moins célèbre parmi les clients de la Nouvelle Revue Française que le moindre billet retrouvé dans un tiroir d’André Gide : mais cette thèse, ses titres, lui donnèrent une position où il présida à l’élaboration d’un petit catéchisme moral qui a été lu sans doute là où il fallait qu’il fût lu.

Il est possible de reconnaître cette efficacité des pensées sans tomber dans les pièges communs que l’idéalisme tend. Cette efficacité n’est point mystérieuse. Elle se résout en effets humains, en actions, en influences d’hommes. Le matérialisme ne dit point que les pensées ne sont pas efficaces mais seulement que leurs causes