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Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/12

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actuelles d’une destinée béatifique de l’Humanité en soi.

Mais il y a certaines philosophies qui existent comme des choses dans l’espace : elles sont imprimées dans des livres et des revues, elles sont prononcées par des voix, elles sont singulières comme des objets, elles ne sauraient être regardées comme des émanations d’une unique essence, comme des processions d’un unique pouvoir. Elles n’ont pas de participations mutuelles. Pas plus qu’une jacquerie et un pogrome, bien que ces manifestations de la violence dirigée puissent présenter quelques ressemblances formelles.

Le malheur est que, dans l’état présent de la pensée, tout le monde se laisse encore duper par des ressemblances de cette sorte : l’apparence systématique, l’architecture et le style communs des diverses constructions de l’intelligence appliquée à la Philosophie permettent de prendre les méditations de M. Lalande pour une incarnation de la Philosophie au même titre que le Spinozisme, incarnation simplement plus pâle, plus modeste, plus anémique, mais rigoureusement comparable, de la même chair et du même sang. Cette comparaison n’est légitime que si personne ne se préoccupe des conséquences réelles, mais seulement de la conformité apparente à des préceptes formels de l’intelligence sans objet. Il faudrait accorder d’abord que l’emploi méthodique des divers outillages logiques suffit à repérer la présence de la Philosophie essentielle.

Classons autrement les philosophes qu’avec les lumières de l’intelligence. Elle sert à tout, elle est bonne à tout, elle est docile à tout ; cette passive femelle s’accouple avec n’importe qui.