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Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/14

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gagne vingt-cinq francs par jour et le politique qui habite villa Saïd, la fille qui va au cours Villiers et celle qui couche cité Jeanne d’Arc dans la même pièce que ses parents et que ses frères, le militant révolutionnaire et l’inspecteur de la Police Judiciaire. Il y a d’une part la philosophie idéaliste qui énonce des vérités sur l’Homme et d’autre part la carte de la répartition de la tuberculose dans Paris qui dit comment les hommes meurent. Ne sortons pas de ces chemins bornés plus tortueux que les grandes routes nationales des systèmes, aux carrefours décorés de gendarmes. Je ne rencontre jamais Homo nooumenon, je ne fais aucun usage des idées, des hypothèses, des décisions qui le concernent, mais je vois, dans les journaux, la photographie de M. Tardieu sur les champs de neige de Saint-Moritz et ensuite par chance je lis un rapport sur le travail forcé. La signification révoltante de l’existence de M. Tardieu, la signification différemment révoltante des statistiques du travail forcé me posent des questions véritablement philosophiques ; mais le conflit, si inquiétant, si pénible, si délicat pour M. Lalande, de la Raison Constituante et de la Raison Constituée me donne sur le champ envie d’aller rire à la campagne.

Alors même que les philosophes ne s’intéressent qu’aux incarnations de la Philosophie et non aux hommes, ces mauvais coucheurs s’occupent de la Philosophie. Il y a un manque scandaleux de réciprocité. Aucun d’eux ne saurait regarder la Philosophie avec détachement, lorsqu’il la rencontre, bien que les philosophes le regardent lui-même ainsi. Les simples têtes humaines ne sont pas à l’aise dans le ciel glacial des Idées. Les Lieux Intelligibles ne sont point ainsi faits qu’ils y respirent librement. Ils ont l’impudence de ne point exclusivement s’attacher à l’élégance d’un argument, à la subtilité technique d’une