Page:Noa noa - 1901.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
16
NOA NOA

être singulier, puéril et majestueux, sculptural en ses rares instants d’immobilité, aux yeux très candides et très aigus, avec un charme unique, indéfinissable, peut-être impénétrable, et que les voyageurs s’accordent à désigner, renonçant à le définir : le charme maorie.

Je vois l’artiste, devant cet être, s’efforçant de lui dérober ses secrets. Je le vois contemplant cette enfant énigmatique, et pourtant nue dans son âme comme dans son corps, malgré, non pas aucune ruse, mais l’extrême mobilité de sa fantaisie qui précipite et brouille perpétuellement le kaléidoscope de ses pensées, unité nuancée d’une succession de contradictoires caprices qu’on croirait simultanés, tant des uns aux autres le passage est rapide. Je le vois poursuivant sa passionnante chasse au mystère et faisant parler le silence. Il sent peser sur cette jeune vivante l’ombre du vieux passé. Il cherche dans ce visage, où la chaleur du sang permet à peine aux souvenirs personnels de s’inscrire, les traces de cet insondable passé que la fécondité de la terre n’a pas permis aux aïeux de Téhura de fixer sur le sol par de durables monuments : car les végétaux ont lentement et sûrement repris à la pierre, dont le domaine est dans la nuit de la terre, la surface du sol, qui leur appartient[1]. La Maorie se laisse posséder,

  1. Il convient d’ajouter que « l’expansion coloniale » de l’occident civilisateur a vivement achevé l’œuvre des végétaux.