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adolescence

vers magiques, ou, ravi par leur sonorité et les songes qu’ils suggèrent, on se sent dédaigneux d’histoire et de géographie et comblé d’un mystère qui leur est supérieur. Quel vocable séduisant dans la Bible dépasse, en poésie religieuse, les syllabes de Bétharram, l’appellation de Vallée Heureuse ? En quelle contrée situerait-on les idylles des poètes grecs mieux que sur les collines légères de Gélos et d’Argelès ?

Un calme, qui naît de l’espace traversé de molles ondées, dispense à l’esprit, en ces lieux captivants, un bien-être qui tient d’un doux sommeil éveillé, au cours duquel l’âme ne formulera ni reproches ni souhaits extrêmes. Le voisinage de l’Espagne contrastant avec celui des eaux bénies de Lourdes berçait mon imagination de songeries multiples, et, pour la jeune fille souffrante et dépendante que j’étais, la proximité de ces paradis, qui ne semblaient point hors d’atteinte, enchantait sans l’enfièvrer ma curiosité rassurée. Que j’ai aimé ces surprenants et vigoureux arbustes aux feuilles vernissées, les camélias, chargés de fleurs que je n’avais connues qu’en satin pâle et cramoisi dans les parures de ma mère, et de l’existence véritable desquels je doutais encore ! Ces camélias, et de légers bambous, au feuillage découpé en vol d’hirondelles, donnaient à la campagne argentée de décembre un aspect fabuleux d’immense paravent de Chine. Je devais ne jamais les oublier. C’est ce décor et un couvent de religieuses situé dans les environs de Pau, que, par réminiscence, j’eus plusieurs fois devant mes yeux, lorsque j’écrivis « Le Visage Émerveillé ». J’avais été confiée, pour ce séjour solitaire dans les Pyrénées, à une vieille fille du Mecklembourg-Schwerin, qui, depuis quelques mois, nous donnait des leçons d’allemand. Ses mérites austères l’avaient fait choisir par ma mère lorsque se posa le difficile problème d’envoyer une adolescente malade dans une contrée où elle n’était recommandée qu’à un médecin, occupé sans répit. Mademoiselle José Ehmsen était de ces Germaines sensibles de jadis, qui, fidèles historiquement à leur patrie, ne pouvaient y vivre, et à qui le climat de la France, fût-ce celui de Paris avec ses pluies négligentes et ses jours brumeux, paraît comme seul favorable à la respiration. Oubliant soudain son attachement au pays natal, qu’elle regagnait en été, elle me faisait des hivers du Mecklembourg