Page:Noailles - La domination, 1905.pdf/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
252
LA DOMINATION

— Huit années, j’ai gardé le souvenir de ta jeunesse ! ta jeunesse nonchalante et forte, lassée, cruelle, délicieuse, comme sont dans les histoires anciennes les empereurs. Huit années, je me suis souvenue ! Que faisais-tu ? et j’étais là ! Nul ne pouvait me rendre les tortures de ton étrange amour. Je les voulais cependant. J’étais des nerfs qui, dénoués de toi, mouraient. Quels jeux pouvaient distraire ta malade passionnée ? Que n’as-tu perverti en moi ? Plus rien de pur dans l’univers…

Les yeux éclatants et sourds comme deux flammes que voilent la main, et tout l’être pareil à un feu subtil qui pénètre, elle reprenait, pliant et chauffant sa voix :

— Tu te rappelles, les nuits sur la place Saint-Marc, les nuits de juillet et d’août, de telles chaudes nuits quand nous étions tous ensemble, auprès de la musique, que l’on servait des granitti, et que tu pâlissais de